U.K. Subs, & Charlie Harper de A à Z en moins de trois minutes

Alors que le rock and roll Hall of Fame se fait envoyer paître par les Sex Pistols tandis qu’une exposition aussi culturelle qu’officielle essaye péniblement d’emprisonner le punk entre les quatre murs d’un musée, il existe un groupe toujours en activité qui risque fort de terminer, quant à lui, dans les pages du livre des records. Il s’appelle U.K. Subs et, s’il n’en reste qu’un, ce sera obligatoirement la bande du chanteur Charlie Harper qui sera retenu.

Le dix huit janvier dernier, le Gibus Club faisait le plein d’une solide cargaison de vieux punks venus assister à la traditionnelle messe parisienne du combo londonien. Parmi les raisons invoquées, l’âge du chanteur. A soixante douze étés de la haine (et un de plus le 25 mai prochain), Charlie Harper n’est pas vraiment ce qu’on appelle une jeune pouce et, vues les nombreuses rock stars épinglées par la Camarde depuis deux ans, il parait légitime de s’inquiéter de l’état de santé du personnage.


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Après vingt trois chansons pied au plancher principalement tirées des quatre premiers albums, l’amateur de trois accords délicatement usinés dans une aciérie spécialisée dans le blindage de tanks aura noté une légère baisse de vitesse dans l’exécution des titres. Sinon, passé ce léger détail, le set délivré dans la tronche du public est d’une vitesse de frappe tout ce qu’il y a de plus convenable. Reste à souligner l’état de fraîcheur plutôt remarquable du frontman après plus d’une heure sous des projecteurs frôlant sa tête comme il est de mise au Gibus. Chapeau.

Alors que le public se bouscule au stand des souvenirs, nombreuses sont les personnes à se dire deux choses. La première étant le souhait enfoui, et impossible à admettre, qu’il existe bien des façon de vieillir mais que celle choisie par Charlie Harper est assurément la meilleure ; et puis la deuxième, ce record incroyable que le leader de U.K. Subs s’était fixé au tout début du groupe : sortir autant d’albums qu’il y a de lettres dans l’alphabet et, tout ça, dans le même ordre que l’abécédaire imposé à tout un chacun depuis la maternelle. Entre 1979 et le mois de mai 2016, le combo a effectivement sorti vingt six albums officiels de A jusqu’à Z, c’est à dire de Another Kind of Blues à Ziezo, un record exceptionnel qui mérite largement le grand prix en plastique mou fluo de la suite dans les idées cloutées ! Le tout, évidemment, sans se prendre pour l’alpha et l’oméga du mouvement keupon comme ont pu le faire certains bourreurs de mou séparés au bout de très peu de vinyles.

Quand Charlie Harper fonde le groupe en 1976, il est loin de penser qu’un jour U.K. Subs déclencherait des délires arithmétiques chez certains critiques de rock. Simplement, là, il y a une volonté de perdurer qui s’est faite dans l’ombre, jour après jour, année après année, et qui force le respect. Honnêtement, qui s’est aperçu que les titres des premiers albums se déclinaient dans l’ordre alphabétique ? Personne n’a soulevé le lièvre du temps des jeunes années du groupe. Tout le monde pogotait dans tous les sens tandis que la presse se désintéressait rapidement des faits et gestes d’un groupe peu porté sur l’extravagance. Au milieu des années quatre vingt, U.K. Subs fait tellement parti des murs des squats que ses membres pourraient jouer avec un manche à balai dans le cul que tout le monde s’en ficherait.

Charlie Harper voit le jour peu avant le débarquement de Normandie dans la bonne ville de Barnsley, entre Leeds et Sheffield. Si l’endroit a eu son heure de gloire après-guerre dans la collecte du verre à recycler, c’est dans le livre Le Quai de Wigan écrit par George Orwell en 1937 que les amateurs de littérature anglaise tendance Germinal ont pu en apprécier la description. A l’époque, l’auteur était à fond dans son trip de découverte du prolétariat local. Grâce à son sous-sol riche en mines de charbons, le Yorkshire du sud était donc l’endroit rêvé pour tous les laborieux à la recherche d’un beau travail de merde susceptible de les faire crever rapidement. Pour cela, le futur auteur de 1984 ne s’y était pas trompé.


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Comme tous les jeunes qui ont eu la chance d’être à Londres au début des années soixante, le futur Charlie Harper fait ses classes professionnelles chez un artisan coiffeur tandis qu’il passe ses soirées à guincher en compagnie des meilleurs groupes du Swinging London qui démarrent. De cette période, il fondera sur le tard les Marauders pour exprimer son amour du rhythm & blues aussi bien au chant qu’à l’harmonica. Alors que le groupe est pas si mal que ça, il subit de plein fouet l’émergence des Sex Pistols et de la déferlante punk qui va suivre. Simplement, en bon habitué des salles de concerts, Harper apprécie le style au point de s’y identifier très rapidement. Exit les Marauders et place à une proto version des Subs (sous le nom de United Kingdom Subversives ou alors Subversives tout court) dès les grandes vacances 1976. Bon, gros problème, l’âge du porte-voix : trente deux ans… Quand on se rappelle des réactions dès l’apparition des Vibrators, on comprends que Charlie Harper a préféré faire ses gammes plutôt que de percer à tout prix.

En remettant UK Subs dans le contexte de l’époque, le leader a choisi l’option social rock. C’est entre le rock politique du Clash et le rock tout court des Sex Pistols. Autant dire que le sujet n’intéresse personne car le punk qui s’est imposé fonctionne encore sur les critères du même star système qui a popularisé aussi bien les Beatles que les Rolling Stones. Il faudra encore une paire d’années avant que la mayonnaise ne prenne sous l’appellation street punk dans les années quatre vingt. Entre-temps, le groupe fait comme tout le monde et découvre les joies du premier enregistrement sous la forme de deux titres enregistrés d’une manière épouvantable au Roxy. Pour les amateurs de raretés dispensables, l’album Farewell to the Roxy est facilement disponible. Après quelques changements dans le personnel, le groupe finit par se stabiliser autour de Nicky Garatt (guitare), Paul Slack (basse) et Pete Davies (batterie) pour les années essentielles qui vont constituer le terreau des racines qui conduiront le groupe à la légende. C’est ce quatuor qui va enregistrer la kyrielle de singles en vinyle de toutes les couleurs ainsi que les deux premiers albums qui constituent toujours la carte de visite du groupe. En une poignée de chansons bâties suivant les préceptes du trois accords : intro, trois couplets plus refrains, solo de guitare après le deuxième, puis conclusion, U.K. Subs popularise une série de hits imparables car écoutables par un maximum de gens. Loin de donner dans l’enregistrement de scie circulaire débitant du béton armé sur fond de marteau pneumatique, les chansons ont des mélodies qui se retiennent très bien dès qu’il est question de prendre spontanément une douche dans un asile psychiatrique. Parmi les pépites à retenir, le titre Warhead qui est même devenu le Smoke in the Water du punk chez tous les aspirants bassistes du monde entier. Au passage, soulignons la mauvaise fois évidente de toutes les personnes s’essayant à ce riff de basse essentiel. Au bout de quelques tours, il est de bon ton de commenter la facilité indéniable de cette suite de notes ne réclamant aucune dextérité pour la jouer. Non mais quelle bande de connards !

Après une tournée européenne en première partie des Ramones qui conduiront les U.K. Subs le vingt février 1980 au Palace, la valse du personnel reprend. Il en sera ainsi pendant des décennies car Charlie Harper développe aussi ses talents de coiffeur dans le monde du rock. Si son activité professionnelle pénalise quelque peu le groupe, elle permet aussi de le financer dans les périodes de creux. Quand on connaît les aléas du monde de la musique, il est aisé d’imaginer que les économies du chanteur n’avaient aucune chance de finir planquées en Suisse. De cette période, on retiendra l’arrivée d’Alvin Gibbs en 1980 ainsi que les sorties des deux derniers singles de l’âge d’or que sont Party in Paris et le EP Shake Up the City. Après, le répertoire du groupe se solidifie en faisant des concessions au son punk tel qu’il est établi avec la popularité de la vague Discharge et Exploited. Bien sûr, il y a toujours des petites pépites sonores mais elles sont victimes d’une uniformisation de la musique en même temps que le style punk à chien devient un mode de vie bourgeois bohème comme un autre.


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De ses débuts à maintenant, U.K. Subs se caractérise par une surconsommation de musiciens qui frôlent le score des chanteuses utilisées pour les play-back de Boney M. Si la page d’une célèbre encyclopédie en ligne annonce le score de soixante seize participants au marathon, les proches du groupe parlent d’un chiffre à trois unités tant les participants à un, deux ou trois concerts sont légion. Comme dit plus haut, cette surconsommation de personnel est plus liée aux activités professionnelles du chanteur qu’à des incompatibilités d’humeur entre les membres du groupe. Comme toutes les personnes habituées à gérer un fond de commerce, Charlie Harper n’est pas une personne habituée à ne rien faire de ses dix doigts. Il est né organisateur et sait gérer un budget comme pas un. Adepte de la concentration des moyens, il sait parfaitement organiser une tournée monstrueuse sur toute une année, voire plus, avant de retourner dans le monde professionnel qui est le sien. Pour les autres membres du groupe, il est quelques fois des longueurs inacceptables entre les tournées. Pourtant, quand on a assisté une paire de fois à un concert du groupe, il faut être aveugle pour ne pas remarquer la débauche d’énergie qu’est chaque apparition sur scène. Quand on connaît les conditions de tournées qui peuvent exister dans le monde du punk rock, la longévité d’un groupe est entre le mystère insondable et un exemple de gestion d’entreprise qui devrait plaire à Emmanuel Macron et à tous les autres chantres du néo-libéralisme. Une fois admis qu’une tournée de U.K. Subs peut s’éterniser sur quelques deux cents dates sur plusieurs continents, il est acceptable de penser qu’un nombre conséquents des musiciens ayant fait une apparition dans ce groupe n’ont juste pas tenu la distance pour ce qui était des efforts demandés.

En développant une forme de rock punk où le public faisait partie intégrante du concert, Charlie Harper et ses U.K. Subs ont inventé un concept accrocheur qui a contribué au succès et à la longévité du groupe. Avant eux, les débordements du public et autres envahissements de la scène étaient aussi monnaie courante que mal vécus par les groupes qui devaient y faire face. Avec un discours entre provocation et démagogie, les groupes historiques du punk se sont retrouvés à gérer des publics de plus en plus envahissants et pénibles. Quand on voit les films tournés lors des concerts des Sex Pistols aux Etats-Unis, on comprend que cette violence quotidienne n’a pas aidé les membres du groupe a se supporter davantage. Avec l’apparition de la seconde vague punk et des U.K. Subs, le public découvre un nouvel aspect des concerts où il n’existe plus, en apparence, de distinction entre les vedettes et les spectateurs. Bien sûr, cette soi-disant égalité entre le public et le groupe n’existe pas. Il s’agit d’un leurre sympathique mis en place pour faciliter une nouvelle approche commerciale. Ni plus ni moins. Simplement, en dépit de sa raison commerciale, cette soudaine proximité entre la scène et la salle n’est pas désagréable en elle-même et sous certaines conditions. Si elle est aussi sympathique qu’utile pour un groupe débutant, elle peut très vite s’avérer une gêne dès que la célébrité s’installe. On voit où l’envahissement de la scène par les fans a conduit le leader de Nirvana. Dans le cas de U.K. Subs, il n’est pas scandaleux de penser que cette proximité n’a jamais été envisagée comme une gêne par son leader de part la petitesse de la niche professionnelle occupée par le groupe.

Le prochain épisode sera sur un sujet indéterminé mais forcément grinçant. Que les esprits de Bobscar et d’Enola Gay vous illuminent de leur savoir thermonucléaire. Amen.

Géant Vert (17 avril 2017)

 

 

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